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Le 17 octobre : une manifestation féministe unitaire ?

À propos d’un choix de date inapproprié

par Frink Frinking, Inès de Luna, Isabelle Rampa, Laetitia Dechaufour, Sabine Lamour, Shirine Sabéran
17 octobre 2009

Le 17 octobre prochain, le CNDF (le collectif national pour le droit des femmes) et les Femmes solidaires, avec le soutien de plus d’une cinquantaine d’associations et de partis politiques ont choisi d’organiser une manifestation nationale pour les droits des femmes. Nous, qui sommes des femmes et des lesbiennes qui avons traversé en militantes des espaces féministes, estimons que le choix de cette date est fort inapproprié, voire insultant.

Aussi pensons-nous qu’il est politiquement nécessaire de se positionner, de rappeler avec les associations et les personnes qui se souviennent que la République Française s’est bâtie sur son empire colonial, que cette date est désormais inséparable de l’année 1961.

Nous nous souvenons du 17 octobre 1961

Ce jour-là, à Paris, à l’appel du FLN, suite à l’interdiction faite à tous les Algérien.ne.s de la capitale de circuler la nuit, des filles et des femmes sont descendues dans la rue avec leurs camarades de combat, leur père, leurs frères, leurs sœurs, leur mère et leur mari. Ce jour-là, des filles et femmes algériennes ont manifesté une résistance anti-coloniale « en métropole ». Ce jour-là, dans les rues de Paris, plus de 300 Algérien.ne.s ont été tué.e.s par la police française, sous l’ordre du préfet Maurice Papon.

Depuis 1991, le 17 octobre est destiné à la commémoration. Mais pas seulement.

Car ce jour-là témoigne également de la difficulté à faire connaître et reconnaître les faits survenus, à faire admettre publiquement par les autorités la réalité du massacre perpétré par l’Etat. Symbole de l’invisibilité de la lutte anti-coloniale, d’une histoire qui s’écrit à peine, cette date rappelle aussi que la répression coloniale sévit toujours, sous d’autres formes mais avec une brutalité tout aussi insupportable.

En choisissant cette date, les organisations qui appellent à la manifestation pour les droits des femmes se désolidarisent des femmes issues de l’immigration coloniale et post-coloniale. Elles forcent ces femmes à choisir entre deux luttes, alors même que ces deux oppressions ne sont qu’une seule et même oppression pour elles. Elles dissocient les luttes féministes des luttes anti-coloniales, par là même, ce ne sont pas seulement les femmes issues de l’immigration qui sont sommées de choisir, mais toutes.
Faut-il préciser qu’aucune mention de la répression de 1961 n’apparaît dans l’ensemble des publications qui appellent à la manifestation pour les droits de femmes ? Rien, ni sur les tracts, ni sur les pages web. Pas un mot non plus en réponse aux interrogations de certaines d’entre nous sur ce curieux choix. Défiler à une heure différente du rassemblement annuel ne peut suffire à le légitimer. Car l’occupation de la date est signée symboliquement. La couverture médiatique, qui sera donnée au rassemblement proposé par le CNDF, si faible soit-elle, empêchera de fait le 17 octobre 61 de résonner dans les mémoires. Quoique dominées parmi les dominants, les organisatrices coloniseront cette date historique.

La violence de ce traitement nous est insupportable. Construire une manif pour les droits des femmes en prenant en compte l’événement du 17 oct. 61 aurait donné une autre teneur à "l’unité" politique. Cela n’est pas apparu aux organisatrices/teurs comme une nécessité politique. Cette nécessité s’impose à nous avec une telle évidence que nous nous étonnons qu’elle ne se soit pas vécue par l’ensemble des associations.
La mémoire collective agit sur le présent politique, certains événements ne peuvent pas être effacés ou recouverts. L’unité de la lutte féministe ne peut se faire que dans la prise en compte des aspects multidimensionnels de la domination, et non dans l’écrasement des combats passés. Nous ne voulons pas d’un féminisme de l’oubli et des parenthèses mais d’un féministe combattant l’ensemble des oppressions.

Choisir le 17 octobre, pour organiser une manifestation sans attache ni rappel aux événements de 1961, c’est participer au déni généralisé de l’histoire de la résistance au colonialisme, c’est court-circuiter le combat de restitution de la mémoire mené par les générations issues de l’immigration coloniale et post-coloniale. Choisir cette date, c’est occulter les résistances passées et actuelles, avec la violence sourde qui caractérise les dominants.

En cela, c’est une forme de racisme.
Vous, qui prenez position en faveur de cette lettre,
Nous, qui l’avons écrite

Ne participerons pas passivement, au prétexte d’unité et de rassemblement, à cette manifestation du CNDF-Femmes Solidaires, parce que cette journée a été volée à d’autres...

Nous espérons être nombreuses à trouver par des actions créatives, par des prises de paroles, l’inscription de la nécessaire articulation des luttes, l’expression de notre désaccord face à cette grande amnésie sélective. Nous marcherons d’autres jours, d’autres nuits, contre les violences faites aux femmes, qu’elles soient violences coloniales, racistes, lesbophobes, sexistes, violences de place, de classe.

P.-S.

Avec le soutien de : Amélie Delaunay, Clarisse Loyen, Chantal, Christine Chaudet, Claire Allam-Revuz, Corine Sagnane, Doriane Meurant, Emmanuelle Détienne, Flor, Florence Mattozzi, Hélène Harder, Janick Penhoat, Jamila Belaïdi, Kaissa, Kat, Loulou Valérie Morin, Malika Amaouche, Myrlie, Nasima Amazighe, Odile, Samia Leulmi, Sanaa, Sara, Sophia Jomni, Zohra Yadel, et le CFPE (Collectif des Féministes pour l’Egalité).